Vous n’avez qu’une hâte : fuir. Assis dans votre lit, vous avez déjà arraché charlotte et blouse, enfilé votre tee-shirt, quand l’infirmière se pointe, armée d’un tensiomètre. Elle annonce les chiffres, élevés comme vous vous y attendiez. Vous dites abruptement: « C’est normal ! »,  mais elle repart sans un mot. Une aide-soignante lui succède, qui s’excuse de n’avoir pas grand-chose à vous offrir et vous propose un en-cas, que vous acceptez avec une gratitude sincère, à cause de sa gentillesse, et  non sans penser que votre bagage contient de quoi vous sustenter - mais après tout, c’est bien le minimum que vous doive  la clinique !

De nouveau seul, vous achevez de vous habiller et vous testez prudemment votre équilibre ; bien entendu, le kiné qui avait vaguement promis, en vous quittant, qu’il « essaierait d’arranger quelque chose pour le soir avec ses collègues » n’a rien arrangé du tout - ce qui ne vous dérange nullement, vu l’inutilité de son intervention professionnelle et son manque personnel de tact. Vous constatez avec satisfaction qu’avec une chaise, puis sans chaise vous pouvez tenir debout et marcher sans chanceler ni tituber ni trébucher, sans éprouver ni vertige ni nausée ni malaise d’aucune sorte. Il ne vous reste qu’à téléphoner qu’on vienne vous chercher.

L’aimable aide-soignante apporte votre en-cas. L’infirmière repasse prendre votre tension et commente cette fois : «Ça baisse un peu. », sans que vous daigniez répondre. Ses attentions s’arrêtent là, ce qui ne l’empêchera pas de cocher, sur la fiche des soins infirmiers, les observations touchant  l’état de votre plaie - ou peut-être quelqu’un d’autre le fera-t-il plus tard, à sa place, pour donner à votre dossier médical une apparence de régularité. Vous laissez en tas informe sur le sol les oripeaux du bloc et bien en évidence sur la table, à côté du pot de yaourt vide et de l’emballage du minuscule pavé de beurre, la petite bouteille de plastique, également vide, que vous aviez apportée, comme pour narguer celle qu’on avait mise à votre disposition. C’est de la seule aide-soignante que vous prenez congé, avant de gagner l’ascenseur, puis le hall, puis la voiture où l’on vous attend.

Il est exactement vingt-deux heures quand vous vous asseyez dans votre cuisine devant une tasse de chocolat fumant.

Bien entendu, personne ne reconnaîtra que le docteur Hippocrate et sa clinique se sont passablement éloignés de ce qu'en médecine on appelle les "bonnes pratiques" et personne n’admettra non plus qu'il existe des préjudices autres que corporels ou financiers.